Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mordicus
Publicité
Archives
24 janvier 2007

A Belfast-Ouest, avec les anciens de l'IRA

Samedi matin sous son parapluie, Pádraic McCotter, ancien militant de l'IRA – l'Armée républicaine irlandaise, le bras armé du Sinn Fein –, attend les touristes. Sur la poitrine, à la place du coeur, il porte un badge à l'effigie de James Connolly, l'un des signataires de la proclamation de la République d'Irlande en 1916. Depuis deux ans, ce gaillard barraqué de 49 ans fait visiter Belfast-Ouest, «parce qu'on ne vient pas ici pour la pêche, mais pour l'histoire».

firingshots

Les visites guidées de la ville par les anciens militants de l'IRA font partie des missions de Coiste Na Niarchimi, une association née en 1998, après les accords de Stormont qui préconisent une administration quasi commune des deux Irlandes dans certains domaines, ainsi que la mise en place d'un gouvernement semi-autonome. Les anciens de l'IRA – qui a soutenu ces accords de paix – souhaitaient la création d'une organisation permettant à ses anciens activistes de se réinsérer dans la société civile. Au rythme d'une visite guidée par jour, moyennant huit livres sterling par personne, Coiste propose aux touristes de découvrir l'histoire mouvementée de la ville. Aujourd'hui ardent défenseur du processus de paix, Pádraic a passé quinze ans en prison. La première fois à l'âge de 18 ans, pour le braquage d'une voiture. «C'était pendant le blanket et le dirty protest», se souvient-il. Quand, en 1975, l'Angleterre a retiré aux militants de l'IRA le statut de prisonniers politiques pour les incarcérer avec les détenus de droit commun, ils refusèrent de revêtir les uniformes carcéraux pour ne porter que des couvertures. Lors du «dirty protest», les prisonniers cessèrent de nettoyer les cellules et recouvrirent les murs de leurs excréments. «Un jour d'hiver, je me suis retrouvé tout nu dehors. À l'époque, j'étais catholique pratiquant et, comme j'ai refusé d'enlever la croix que je portais autour du cou, le gardien me l'a arrachée», raconte Pádraic. Plus tard, Pádraic a écopé de dix ans de prison pour avoir répliqué aux tirs des membres du Royal Ulster Constabulary (RUC) – la force de police d'Irlande du Nord créée par les unionistes en 1922 – qui faisaient éruption chez lui. Il fut grièvement blessé, ainsi que l'un de ses amis.

Falls Road, sous la pluie, la visite commence sur la grande artère catholique de Belfast-Ouest. «Brits out», «Nazis out», peut-on lire sur les murs. Les voitures passent à vive allure et éclaboussent les piétons. Pour se protéger de la pluie, on se serre dans les «blacks taxis» mis en place dans les années 1970 pour assurer la sécurité des républicains et leur éviter de se déplacer à pied, notamment pour se rendre à l'école. Sur un mur, des fresques reproduisent les pancartes placardées à Londres dans les années 1960 : «No blacks, no dogs, no irish». Un touriste irlandais qui vivait à Londres à l'époque confirme : «Oui, je me souviens très bien de ces écriteaux, ils étaient sur les devantures des chambres à louer.» Suivent des peintures de soutien au peuple palestinien. À Belfast-Ouest, l'amalgame entre la cause palestinienne et le combat des républicains contre «l'occupant» britannique est monnaie courante, ainsi que la référence à Che Guevara. Pádraic explique ne pas partager la notion de «guerre d'indépendance». «Pour moi, c'était plutôt une guerre civile», analyse-t-il. À le voir mimer les attaques à main armée, on comprend que ce fan de David Bowie et des Rolling Stones («Oui, ce sont des Anglais, et alors ?» ) n'a pas juste étudié le maniement des armes dans les livres.

Au pub Murphy's, les Irlandais regardent du sport à la télévision. Aux murs, dans des cadres ceints d'un bandeau noir, des portraits de jeunes volontaires de l'IRA, «morts au combat». La plupart n'avaient pas 20 ans. Dehors, un drap géant recouvre un mur avec les portraits des dix grévistes de la faim décédés en 1981. Menée par le charismatique membre de l'IRA, Bobby Sands, élevé ici au rang d'icône, la grève avait pour objectif d'obtenir le statut de prisonnier politique. Mais le premier ministre britannique d'alors, Margaret Thatcher, estimant qu'il s'agissait de «terroristes», était restée inflexible. Bobby Sands est mort à 27 ans, après 66 jours de jeûne. Comme neuf autres militants.

À quelques pas de là, Pádraic s'arrête, et on sent pointer l'émotion chez cet homme plutôt introverti. Au mur, un portrait de Pat Finucane, l'avocat défenseur des républicains, assassiné en 1989. «C'était mon avocat, se souvient Pádraic. Quelque temps après sa mort, celui qui l'a tué a avoué être mandaté par les services secrets britanniques. Puis il a été assassiné à son tour.» L'ancien militant de l'IRA passe devant la maison de James Connolly, en face du cimetière mixte où sont enterrés protestants et républicains. Mais, précise Pádraic, «les tombes sont séparées par des murs de plusieurs mètres de profondeur, car les unionistes ne veulent pas que la terre qui a touché les cercueils républicains soit la même pour leurs morts». Si l'IRA affiche sa volonté de défendre le processus de paix et a, officiellement, rendu les armes il y a un an, ce n'est pas le cas des groupuscules dissidents nés après les accords de Stormont. Rendez-vous à Dundalk, en République d'Irlande, tout près de la frontière, à 80 km de Dublin avec les deux soeurs de Bobby Sands, Marcella et Bernadette. Âgée de 48 ans, cette dernière, accusée d'avoir fait partie de l'IRA véritable – ce qu'elle réfute –, est le portrait de son frère. Aujourd'hui, elle se bat pour la libération de son mari, Michael McKevitt, condamné en 2001 à vingt ans de prison par le tribunal spécial siègeant à Dublin pour «direction d'activités terroristes». Le principal témoin de la poursuite contre Michael McKevitt est un agent du FBI qui a infiltré l'IRA véritable pendant plusieurs années. Cette organisation avait notamment revendiqué l'attentat d'août 1998, à Omagh en République du Nord, qui avait fait 29 morts et des centaines de blessés.

Mais Michael McKevitt a toujours nié son implication et Amnesty International s'est déclarée «préoccupée» par son emprisonnement.

«Parce que nous sommes les soeurs de Bobby Sands, nous avons été persécutées et plus ennuyées que si nous avions été des citoyennes ordinaires», déplore Marcella qui confie que «la politique n'a pas été bonne avec nous». Bernadette refuse de répondre aux questions sur le processus de paix. «La réalité, c'est que nous sommes toujours sous contrôle britannique», résume-t-elle.

Anne Jouan .

Publié le 14 septembre 2006

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité